Cécile A. Holdban

Née en 1974, Cécile A. Holdban, poète, peintre et traductrice, co-éditrice de la revue en ligne Ce qui reste, vit à Paris.

Osselets, le Cadran ligné, 2023.

« Observant le labyrinthe / je suis à la fois celui qui le crée / et celui qui s’y perd », fait-elle dire à Minos au début du premier texte. Par les dix titres du recueil, comme parcourant à cloche-pied les cases d’une marelle, Cécile A. Holdban déroule en notes brèves un pensé du monde auquel elle se confie « Comme les arbres se confient au vent / comme l’eau se confie au courant », un pensé du monde dans une écriture à l’essentiel qui nous y relie par le rayonnement des mots: « Les larmes sont salées / pour couler vers la mer / plus vite que les rivières ». Le monde qu’elle nous décrit est un monde animé (doté d’une âme), les vagues y ont des paupières, elles divaguent et dansent, l’ordre des choses peut y être salutairement inversé: « La pierre tombe / à l’envers / pour rejoindre l’oiseau », nous libérant ainsi de nos propres pesanteurs. L’écriture plonge le mot « dans le voile de l’eau », opère rapprochements, glissements, fusionnements qui nous déposent au cœur du « cœur du merle ». L’expérience est sensible, les osselets transmettent à l’intérieur les vibrations du dehors.

Musique: Magali Robergeau & Gérald Méreuze,
lecture & mise en son: Jacques Vincent.

Jean-Paul Bota

Jean-Paul Bota, né en 1968 vit et travaille en région parisienne.

Lieux, Tarabuste, 2023.

Comment donner voix à ce texte? Le souffle tendu qui le porte me met en confiance et m’incite à ne pas me laisser décourager sur les sentiers accidentés de sa syntaxe.
« Toiles gravées prospectivement à parler elles le mariage arrangé d’un jeune-homme fils d’un aristocrate pauvre et de la fille d’un riche marchand / échevin »
Fort de mon passé de coureur de fond, je laisse l’auteur mener la course pour me défaire des usages courants et aligner respiration et foulée sur les siennes. La prose poétique de Jean-paul Bota, voyageur érudit de l’espace et du temps, conduit de Londres à Airaines en passant par Chartres, Lisbonne et quelques autres territoires picturaux et littéraires dans un travail de la matière écrite qui tient assurément l’auteur insoupçonnable de pédanterie.
« tout du tumulte où nous plonge la peinture ou nous sommes comme mêlés au tumulte, en son cœur, comme absorbées embarcations du plus profond des vagues d’où gicle en coup de brosse l’écume… » écrit-il d’une toile de Turner, glissant du représenté (la tempête) au représentant (le coup de brosse) puis à la réalité de l’instant (l’écume qui gicle).
Inquiet dès la première lecture de ne pas connaître toutes les références citées, je laissai souvent la page pour voyager sur la toile mais aux lectures suivantes j’abandonnai ces détours pour demeurer sur la page, dans la foulée de l’auteur. Ce territoire est balisé de mots récurrents, certains désignent ce qui est dans le texte (« ça » comme un index tendu) mais d’autres nous détournent vers un ailleurs (« parlant », « songeant »), une onomatopée (« ahh »), exclamation sur ce que l’auteur vient de voir et qu’il va nous donner à lire, des signes aussi: une puce, une flèche, les soulignements d’espace ménagés dans les lignes ou même des pointillés. Comment les dire? Il y a aussi ces « ect. » supposant des convenus, une complicité même avec l’auteur et comment parler ce pronom impersonnel ce « 1 » qui se dresse au-dessus des lignes?
Du travail de la syntaxe, du choix des mots, de celui de « mal écrire », de cet état enchevêtré des lieux advient une poésie qui prend aussi place dans l’hésitation entre le vu et le dit.

Musique: Magali Robergeau & Gérald Méreuze,
lecture & mise en son:Jacques Vincent.