Denis Heudré

Né à Rennes en 1963, Denis Heudré vit en Ille-et-Vilaine.

sèmes semés, éditions Sauvages, 2021.

« Ce pays est mien en traduire les sangs », ainsi est posée l’intention de ce recueil qui, du printemps à l’hiver s’avance en pavés de prose où les seules ponctuation (sauf en dernière page) sont la barre oblique qui élance les phrases et le point d’interrogation qui les tient en suspend. Les poèmes qu’aucune capitale ne limite embrassent, relient, accordent âme et parole aux éléments: la terre entend, éprouve du désir, le vent est jaloux, le crépuscule joue, la mer est heureuse, la dune raconte au vent, le chêne se souvient… Une pensée animiste irrigue ces contemplations. Par cette « offrande à la terre », l’auteur partage l’intimité qu’il entretient avec les éléments et invite à « se fier au poème pour nous guider vers la mer ». Ces sèmes (la plus petite unité différentielle de signification selon le Petit Robert) réveillent la pensée utopique d’une « enfance revenue » avant que la langue nous sépare, avant que germe « l’homme semé ». La fenêtre du poème « voyage », fait se rejoindre proche et lointain « par l’entremise de quelques hirondelles ». Lucide, l’auteur reconnaît que « écrire ne lavera jamais le monde »; lucidité qui ne le prive pourtant pas d’optimisme :
« l’homme sait bien qu’il n’est faillible que de lumière / et au plus près de la terre il gagne son poids de lumière ». 

Denis Heudré, sèmes semés, éditions Sauvages, 2021.

Hélène Sanguinetti

Hélène Sanguinetti, née à Marseille en 1951, vit à Arles.

Domaine des englués, La Lettre volée, 2017.

« Le mal? Vouloir tout. Là. Ensemble. Le tout vibrant, foisonnant, chantant à tue-tête, rebondissant. », cette citation du personnage qui intervient comme narrateur dans ce long poème en dit ce qui l’anime. Distinguées par les choix typographiques, d’autres voix s’y joignent, dans ce qui se déploie à la manière d’un rêve éveillé, qui s’aventure en s’écrivant et avec quel élan! (« Ne pas retenir les chevaux »): une voix intermittente, prisonnière d’un cartouche (engluée?), des chansons, des lignes de poèmes, un conte. Elles accompagnent la prose du narrateur qui adresse des lettres à une femme. S’y adjoignent divers signes typographiques ou arithmétiques, des griffures, des émoticônes… Il y en a pour l’œil autant que pour l’oreille, il y a de l’animal et du minéral, il y a la mer, le vent, le feu, de l’humour aussi et une énorme fringale de vie à l’origine de cette architecture ample et complexe, ce « capharnaüm », où la couleur rouge revient en récurrence.
« CHEVAUX QUI ME BOUSCULENT, M’EMPORTENT, ET LA PAROLE, / ATTACHÉE À LEURS FLANCS, / À LEURS CUISSES QU’UNE SORTE DE FEU FAIT TREMBLER ».
Dans une réponse à une question de Jean-Baptiste Para, en deuxième partie d’ouvrage, Hélène Sanguinetti révèle: « ce n’est pas dans le poème ou la poésie que je crois, c’est dans toute la vie et je n’ai trouvé que cette sorte de poème pour dire cela, le rendre réel ».
Le sujet premier de ce livre est le poème, le poème se vivant en s’écrivant (et en se lisant).

Hélène Sanguinetti, Domaine des englués, La Lettre volée, 2017.