Anise Koltz

Anise Klotz, "Somnambule de jour"

« Somnambule de jour », Éditions Poésie / Gallimard, 2016.
Née en 1928 au Luxembourg où elle vit, Anise Koltz écrit d’abord en allemand puis en français. Elle reçoit en 2018 le prix Goncourt de la poésie.
« Somnambule de jour », sous le sous-titre « Poèmes choisis », regroupe des extraits de plusieurs ensembles déjà publiés depuis 1966.
« Je suis un messager / sans message / un chanteur ambulant / sans chanson ».
Une pensée chemine au gré d’instants de vie, des questions sont posées en poèmes brefs à la légèreté de papillons auxquelles répondent parfois des aphorismes. Une poésie traversée d’ « antiques rumeurs bibliques », qui met en doute ce qu’on touche , voit et vit : « La vie travestie / en liberté / invente les mirages / de notre quotidien ». Elle creuse en quête d’un sens jamais atteint, « le monde reste sans réponse », désigne ses propres paradoxes : « lorsque j’écris / pour rendre visible / l’invisible // le visible / devient invisible », cependant, « Dans ce monde / démuni de sens / le langage est notre ultime refuge ».
Témoin des années qui s’écoulent, le soleil et souvent convoqué et Dieu, avec la distance de l’impertinence : « Le septième jour / Dieu s’assoupit // La terre tremble toujours / de ses ronflements ».
Plusieurs poèmes sont adressés à René, son mari mort prématurément à la suite des tortures auxquelles l’avaient soumis les nazis. Ce qui garde la poète du désespoir face à l’abîme, c’est la certitude que « notre langue est sacrée », à protéger et veiller « comme un feu qui ne doit jamais s’éteindre » mais c’est aussi l’humour qui flotte dans l’ensemble de l’œuvre : « Nous marchons sans repères / suspendus au monde / par une épingle de sureté », image qui pourrait surgir d’un dessin animé de Tex Avery.
« Il [ le poème ] veille à ce que le rêve subsiste // Même à quelques instants / de la fin de monde ».

Jacques Vincent

Extraits lus par « Les Louiseuses » : Elen Le Trocquer et Bénédicte Maillard, avec la contrebasse de Gérald Méreuze.

Jean-Pierre Chambon

« L’écorce terrestre », éditions Le Castor Astral, 2018
Jean-Pierre Chambon, né en 1953, publie essentiellement de la poésie. Son recueil « Le roi errant  »  lui vaut en 1996 le prix Yvan Goll de la poésie francophone. Il co-dirige la revue de poésie Voix d’encre.
Huit textes composent le recueil qui engagent tous l’œil, le sens de la vue. Le monde et ses phénomènes sont passés obstinément au crible du regard de l’écriture, l’œil d’un cyclope qui voudrait pénétrer toute matière, en défier la résistance : Ces visions au bord de l’évanouissement / attestent d’une lutte avec l’ange de la présence. Le regard creuse toute chose autant que ce qui s’écrit : c’est encore trop dire, approcher avec des images trop fermes ce qui échappe à tout contact. Exploration d’un champ de tournesol, d’une forêt incendiée ou d’une friche, industrielle, objets abandonnées, débris, poussières, ainsi entre-t-on dans les lieux du poèmes par l’humide et le sec. On y touche des matières qui transsudent, se dessèchent, brunissent, noircissent, s’altèrent, muent en s’extrayant de peaux successives. Même la pierre se délite sous l’effet de la répétition de son nom. De la vue à la vision, les choses se détachent de leur état et s’animent d’intentions et de gestes : … des méduses aux visages d’enfants viennent se nourrir du lait de la lumière … .
Dans cette écriture dont les mots désignent aussi bien les états et transformations des matières qui nous constituent, se lit l’ardent désir de connaître en se fondant dans l’objet de connaissance.

Jacques Vincent

« La poussière du silence », extrait de « L’écorce terrestre », publié avec l’aimable autorisation de l’auteur. Contrebasse: Gérald Méreuze, lecture: Jacques Vincent.

Denise Le Dantec

La seconde augmentée, D. Le dantec

« La seconde augmentée, éditions Tarabuste, 2019.
Née à Morlaix en 1939, Denise Le Dantec est une auteur à l’œuvre multiple. Elle est écrivain (poésie, philosophie, romans), auteur de chansons pour Colette Magny, mais aussi peintre et a même réalisé un court-métrage.
« Bouquet. Poèmes. / L’échelle est à hauteur expressive. L’esprit naïf renaît ». Cueillis dans de multiples lexiques (il y a même un acronyme de la langue du web : « J’ai fait un spip ») les mots adviennent, se posent, lignes par lignes parfois soutenus par un point ou en brefs paragraphes. Ils s’ordonnent en bouquets. À l’autre, à soi-même, au lecteur, une adresse parfois : « 10 heures 30. Tu ne viendras pas. Je boirai seule mon vin ». « La poésie n’est pas un art de la métaphore » écrit-elle, pas de métaphores mais des aperçus, instants de langage manifestés, présence d’un souffle. « J’ouvre une phrase. Le monde est là. Une grande roue éclairée rouge », le monde se donne en même temps que la langue s’éprouve, dans l’énonciation. Comme chez Reverdy, la juxtaposition en formule l’énigme. « C’est le soir. Le jour a passé l’heure. Silence. Oubli. Rien n’est perdu / […] / La poésie vient parfois sans qu’on y mette la main. ».

Jacques Vincent

Enregistrement publié avec l’aimable autorisation des éditions Tarabuste et de l’auteur. Contrebasse: Gérald Méreuze, lecture: Jacques Vincent.