Inger Christensen née au Danemark en 1935 est morte en 2009.
Alphabet, Ypsilon éditeur, 2014.

« Je regarde les mots comme des structures biologiques, des cellules vivantes » a-t-elle déclaré dans un entretien et c’est bien comme un organisme vivant que se déploie ce recueil selon deux principes d’évolution: la suite de Fibonacci où chaque nombre est l’addition des deux précédents (0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, …) dicte le nombre de vers attribué à chacun des chapitres dont le premier mot commence par une lettre de l’alphabet décliné.
« … je jette un caillou dans l’eau / regarde comment les ronds / se dilatent, atteignent même / les plus lointaines côtes ». Ainsi en est-il de cet ensemble de poèmes, cette organisation de mots, de syntagmes, de phrases qui s’amalgament en un souffle qui tend à nommer pour faire exister tout ce qui est.
« les abricotiers existent, les abricotiers existent » (la traduction française du premier mot du premier poème d’un seul vers commence par la lettre A comme le mot danois, ce qui n’est pas le cas de tous), né d’un noyau invisible, le nommer fait exister l’abricotier. Commence alors une énumération qui donne aux choses, aux êtres, aux phénomènes une existence qui sera maintenue même après leur disparition. Comme l’écrivent en postface les traducteurs Janine et Karl Poulsen, « n’est vraiment mort que ce qui a disparu de la mémoire alphabétique ».
« … regarde le tourbillon / de la tempête de sable », le souffle des poèmes qui englobe le proche et le lointain, ce qui fait la douceur de la vie autant que ce qui la menace, le bien, le mal, s’élancent librement dans un espace aussi vaste que le monde. Plus que toute autre, cette poésie appelle la lecture à pleine voix.
lecture & mise en son: Jacques Vincent.