William Cliff

William Clif, pseudonyme d’André Imbrechets est né en 1940 à Gembloux en Belgique où il réside.

Des destins, La table ronde, 2023.

«  Je veux de la poésie, de la poésie / pour charmer la déroute de mon existence, / mon âme désire qu’elle se rassasie / avant d’aller plonger dans sa sombre échéance. ».
Des sonnets en alexandrins rimés qui parfois osent frôler le risque du ver de mirliton pour relater avec une sincère candeur les rencontres, les amours, les tendresses, les émerveillements de l’enfant blessé qui habite toujours l’auteur. « Mécanique plaquée sur du vivant », humour et auto-dérision, la forme à la solennité désuète enchante cette autobiographie en la tenant à distance: un homme le prenant en stop devenu son amant, Jean Détrez, Willie Tréfoie (« et qu’il m’avait dit qu’il ne faut pas pour autant / cesser de rêver et de conserver l’idée // que le rêve devait toujours renaître en nous »), sa marraine, son parrrain, bonne-maman, Ernest Gayolle, monsieur Tellier, son frère, sa sœur, … , Cliff (déjà fiction puisque pseudonyme), du haut de sa falaise, voit William dans la banalité de ses jours.
Ce qu’il écrit sur Walt Witman pourrait s’appliquer à sa propre écriture « où le verbe s’enchante comme en un verger ».
Tous sonnets ai-je écrit, si ce n’est cependant l’exception d’un dizain antépénultième qui affiche sa différence comme un pied de nez.

William Cliff, Des destins, La table ronde, 2023.

Carolyn Carlson

Carolyn Carlson, née en 1943 en Californie est danseuse, chorégraphe, poète.

Au bord de l’infini suivi de Dialogue avec Rothko, traduits par Jean-Pierre Siméon, LE PASSEUR éditeur, 2019.

Journal de bord écrit sur les pierres chaudes d’un chemin de vie, chemin de crête « au bord de l’infini ». Ainsi m’apparaît ce recueil fait de dessins et de poèmes qui signent une présence vive, une disponibilité étendue. Les textes relatent, adressent, énoncent, questionnent, décrivent, suscitent, tissent une pensée implicite et généreuse qui, faisant fi de la chronologie, embrasse le temps et l’espace et nous fait éprouver le mystère de l’évidence (« Et comment donc M. Einstein / une chose pareille est-elle possible? »).
Le premier ensemble s’achève sur « Des portes / peintes par Rothko ». L’auteure les ouvre pour se laisser avaler par les toiles du peintre, plonger dans ce glacis « NOIR DONT ON DIRAIT QU’IL SCRUTE L’ÉTERNITÉ ». Un dialogue s’établit avec le plasticien en miroir de ses propres gestes (« le rouge de la brosse et du couteau sculptant à même le vide ») et de sa façon à elle de rendre présent (« L’Œuvre ne signifie rien / elle dit tout / elle est elle-même »).
Je retiens en page 99 un poème qui touche si justement à l’être énigmatique du poème: « Terres et océans se séparent //les mots se retournent / sur eux-mêmes // sur ma table / une lettre demeure close // un message / que je garde pour toujours / si petit / si nécessaire ».

Carolyn Carlson, Au bord de l’infini suivi de Dialogue avec Rothko,
traduits par Jean-Pierre Siméon, LE PASSEUR éditeur, 2019.

Lydia Padellec & Gilles Fortier

Lydia Padellec est née en 1976, Gilles Fortier en 73, tous deux vivent en Bretagne.

Lydia Padellec: « Délicieux gouffre » & Gilles Fortier: « Ce que tes lèvres me disent », éditions La lune bleue — trouées poétiques, 2022.

Le livre accueille ces deux auteurs tête-bêche selon le principe de la collection à laquelle il appartient.

Lydia Padellec expose en pavés de proses des ekphrasis de peintures représentant des baisers; elle décrit et anime les tableaux, nous en fait récits.
« Bientôt je déposerai mon âme douce et rieuse sur tes lèvres », ici elle s’identifie aux personnages d’une toile de Chagall, ainsi de même dans l’une de Cocteau, de Montserrat Gudiol ou au vampire de Munch. ailleurs, elle donne mouvements aux baisers ardent d’imbroglio Alciati, lutteur de Felix Vallotton, piège de Waterhouse, adultérin de Munch. De ce même Munch elle témoigne de l’acte de dévoration de son Sphinx, comme de la possession de Néstor Martìn-Fernández de la Torre et d’une tendre fusion d’Egon schiele. Elle sort de leur mutisme le baiser désespéré de Magritte, celui inquiétant de max Ernst et le vénéneux de Dorothea Tanning. J’aime le regard pénétrant de cette collectionneuse.

Lydia Padellec: « Délicieux gouffre »,
éditions La lune bleue — trouées poétiques, 2022.

Gilles Fortier déploie les vers libres de ses poèmes en une élégie qui débute sur l’évocation d’un jeune-homme de dix-sept ans, de l’élan d’un baiser déjà porteur de regret: « Il y a pourtant une main / grande ouverte sur mon torse / qui repousse ». Ces lignes rendent compte d’un amour intranquille marqué par la séparation où alternent reproches (« toi qui m’a tout volé »), regrets (« dans les draps qui ne couvrent plus / d’aimer », déception (« tu viens à moi… / […] / ton baiser est glacé »), ressentiment (« notre idée du paradis / ressemble beaucoup à l’enfer »), accablement (« une aube épuisée de promesses déçues »).
Orphée n’est pas si loin et son chemin de déploration s’achève (heureusement pour le poète!) sur un doute salutaire: « Qui de nous deux s’en va? / Qui de nous deux prend la fuite? ».

Gilles Fortier: « Ce que tes lèvres me disent »,
éditions La lune bleue — trouées poétiques, 2022.