Christian Viguié

Christian Viguié, né en 1960 à Decazeville, vit près de Limoges.

Nature morte avec page blanche, ombre et corbeau, L’Ail des ours, 2023.

« Quelque fois se cacher au centre », c’est de ce centre dans le premier vers du recueil « avec une simple plume » que nous viennent ces poèmes. S’y rencontrent le dedans et le dehors, une feuille ou une simple pensée qui pourraient mutuellement s’interférer (« comment peut jouer / l’ombre d’une branche / sur ma pensée »).
L’auteur nous convie au cheminement d’une méditation qui vagabonde, musarde sur un territoire où se retrouvent la réalité avec les mots qui la désignent. « J’ai besoin de cette idiotie / pour commencer avec les choses / juste pour être ce brin d’herbe / ou l’odeur d’une bête » nous expose le départ de sa démarche. Il déambule ainsi, écrit-il, « juste pour me retrouver / et me perdre », nous invite à l’ivresse ou à l’éveil, s’interrogeant à la manière d’un koan bouddhiste « sur ce que peut être l’ombre / d’une ombre » ou le poème qui le devient parce qu’il ne veut plus être poème. « la réalité / ne demande rien / à personne » mais la pensée a besoin des présences matérielles du couteau et du héron pour exister. Un papillon posé « sur le bord d’une phrase » est réaliste, le paradoxe est dans le fait que le papillon le désire. L’itération du mot peut-être dans un poème s’entend non comme expression d’une indétermination mais plutôt comme affirmation de ce qui peut être dans le poème inventé « pour changer le monde ».

Christian Viguié, Nature morte avec page blanche, ombre et corbeau,
L’Ail des ours, 2023.

Annie Le Brun

Annie Le Brun, née à Rennes en 1942, rejoint le mouvement surréaliste en 1963.

Ombre pour ombre, Poésie / Gallimard, 2024.

Le recueil, commencé par la séquence « sur le champ », s’ordonne en dix séquences, dix séries, chacune adoptant une forme différente. Le propos se déploie en écriture automatique, lyrisme à flot continu « À la recherche du feu », en constants mouvements d’une « pensée diagonale ». « Tous les points de départ étaient bons pour engendrer l’imaginaire trajectoire vers des points d’arrivée qui n’existent pas ». Sur des lignes brisées d’inattendus, d’incongruités nous conduisent ces « voyages [qui] commencent avec les accidents ». Le calembour y trouve aussi sa place (« un homme de main enlace une Ève en taille »).
Je lis ces textes comme un paysage qui défile dans la fenêtre d’un train. Me sont alors délivrés des « éclats de sens ». Ces mots sont à lire « avec des yeux de trois ans » qui découvrent la langue, il émanent d’un « désir en liberté ». « Tout nous appartient et nous ne nous appartenons pas », un inconscient plus vaste nous précède. « Mais qui parle alors? », la réponse à la question est dans « les champs à perte de vue [qui] seront aussi des lits à notre mesure ».

Annie Le Brun, Ombre pour ombre, Poésie / Gallimard, 2024.