Née au Liban en 1980, Ritta Baddoura vit en France et écrit en français.
Parler étrangement, l’Arbre à paroles, 2014.

Dans ces poèmes en prose qui lui valurent le prix Max Jacob en 2015, Ritta Baddoura se raconte à travers la relation complexe qu’elle entretient avec sa langue, langue première coupée de langues secondes qui se parlent dans son pays d’origine, le français mais aussi l’anglais et l’italien. La langue protège les enfants qui se font des histoires contre les peurs de la guerre et celle qui veut croire qu’en apprenant l’autre langue on peut devenir un peu autre et tromper la mort. Si l’enfant se met à l’abri dans des cartons, l’adulte le fait « Dans le sommeil heureux de la bibliothèque ». La langue est aussi celle de l’amoureux étranger qu’un baiser glisse dans sa bouche.
Coupée s’entend ici dans trois sens, mélangée comme on coupe un vin, mais aussi séparée de la langue natale et enfin métaphoriquement (« je vais te la couper ta langue ») lorsque la mère reproche à sa fille de ne pas la tenir sa langue au risque d’éveiller les soupçons de la milice. La langue qui protège peut aussi devenir dangereuse.
« La guerre m’a faite. Mon accent est béant », cette béance est une vulnérabilité en même temps qu’une ouverture à l’autre et si Ritta Baddoura vit aujourdhui en France et écrit en français, « la langue d’où je suis morte est collée sous la peau de ma langue » nous livre-t-elle.