Adeline Baldacchino

Née en 1982, Adeline Baldacchino vit à Paris où elle est aussi magistrate.

 Ce que nous sommes lorsque nul ne nous voit, L’Ail des ours, 2023.

« À quoi servent tous ces mots? / dit l’écrivain qui ne devrait pas écrire / […] / à quoi? / l’enfant seul le sait ».
En guise d’impossible réponse à la question ontologique induite par le titre, le recueil débute avec les cris de goélands « qui sonnent comme un alphabet » et suggèrent d’apprendre cette autre langue pour, s’extrayant du regard de l’autre, « se réinitialiser », entrer dans le jeu comme dans un conte. Nous n’aurons que « trois chances avant l’erreur fatale ». Les réponses viendront, multiples, de l’océan, du ciel, du hasard inconscient qui émerveille le poème.
Une pensée « qui fait moisson de hasards » se faufile « entre l’évidence et l’impossible » pour aller jusqu’à frôler la métaphysique (« comment l’un devint plusieurs / comment plusieurs se fit complexe / comment complexe devint vivant »). L’écriture « chemine sur les rives du vertige ». « L’écrivain qui ne devrait pas écrire » cherche, comme on ferme les yeux, « à s’absenter de soi pour y plonger », il a ce pouvoir avec celui de se réincarner par l’écriture.
« La magie » du poème, détournant du miroir, embrasse les paradoxes.

Adeline baldacchino Ce que nous sommes lorsque nul ne nous voit,
L’Ail des ours, 2023.

Alain Rivière

Né en 1961, Alain Rivière écrivain, peintre et photographe vit entre Berlin et Venise.

Les chiens nus, éditions Conspiration, 2023.

Dans ce recueil en forme de conte philosophique rédigé à la première personne sont inversés les rôles de chiens et de maîtres. Les petits pavés en prose qui le composent portent un regard humoristique sur notre condition comparable à celle de ce chien qui se dit être « dans des milliers de cages ».
L’auteur, ceint d’un collier, mange « dans une gamelle près d’une niche », rapporte avec enthousiasme la balle que lui lancent les chiens, « Fais la fête un matin à un grand chien ». Il est contraint aux promenades sans pouvoir faire ce qu’il aurait voulu (« des éclats, des tortures, des guerres, des carnages »). Ceux d’une meute lui recommandent comme eux de faire semblant. S’il ne peut supporter d’être jour et nuit caressé sur la tête il accueille des confidences, des aveux (« Nous aussi nous acceptons une sorte de jeu »), des interrogations inquiètes (« Ne sommes-nous que la solitude? »), surprend une conversation entre canidés à propos de Camus, se voit confier des pensées, des critiques (« Toi, au fond de toi, quoi que tu penses, tu attends toujours une couronne de lauriers »). Quand tel lui adresse des reproches (« Ton espèce aime trop le dressage »), un autre lui enjoint de ne pas se prendre pour un chien (« Tu n’y arriveras jamais »). Il reçoit aussi des conseils de sagesse (« Viens errer avec nous toute la journée ») puis finira par être abandonné.

Alain Rivière, Les chiens nus, éditions Conspiration, 2023.