Estelle Fenzy

Estelle Fenzy, est née dans les Hauts de France où elle a grandi.

N’oublie pas, L’Ail des ours, 2024.

Ce recueil adressé à la mère de l’autrice atteinte de démence est le journal d’un accompagnement. Les poèmes brefs et lumineux relatent au présent une succession de moments qui tous appartiennent à ce temps suspendu qui nous advient lorsque nos parents sont en fin de vie.
L’appartement laissé vide avec ses odeurs et ses objets familiers (« Avant de partir / je prends tes roses / en photo ») et l’évocation du départ vers l’institution, la « chambre 46 » et le « ballet des fauteuils roulants ». Viennent ensuite la mélancolie et l’angoisse des visites quand « Le ciel crache des cendres », l’écoute d’une « langue nouvelle / mystérieuse » qui recoud les bribes d’une mémoire devenue atemporelle. Pages après pages, l’autrice tente de recréer une chronologie en forme d’effeuillage. Parfois « le temps trébuché / reprend appui pour / un instant / dans nos regards » et à la question « Est-ce vivre encore / quand on est déjà plus / que le souvenir de soi-même » répond deux pages plus loin ce dialogue, moment de grâce : « Tu m’as dit / vous êtes qui / et puis / bonjour Espace ».
Dans les dernières pages reviennent les sensations, les gestes, les odeurs d’autrefois qui restaurent « ce corps presque / mort » jusqu’à la lucide évidence : « Je n’ai pas fini d’être ton enfant ».

Estelle Fenzy, N’oublie pas, L’Ail des ours, 2024.

Roland Giguère

Roland Giguère, auteur francophone né à Montréal en 1929 est décédé en 2003. Proche des surréalistes, il vécut quelques années en France.

L’âge de la parole, éditions Typo, 2013.

L’âge de la parole est un recueil anthologique qui regroupe huit ensembles de poèmes en vers libres et en prose publiés entre 1949 et 1960.
« JE SUIS LE MINISTRE DES AFFAIRES INTÉRIEURES, celles obscures, inextricables et le jeu consiste à s’y perdre et s’y retrouver alternativement […] et replonger plus profondément, toujours plus profondément. »
Cet extrait du long poème « Yeux fixes » dit précisément l’intention qui préside à l’écriture. Plonger dans le subjectif, se perdre comme un jeté de dés quand « les plus beaux avenirs » sont consumés par un « ogre odieux » pour se retrouver dans le poème. Tel est le choix du poète, le choix qu’il fait pour « vivre mieux ». « ailes ouvertes sur tout ce qui vit », son écriture se nourrit des matériaux du rêve et de ceux que livrent le fortuit.
Comme dans les rêves, les images précèdent leur sens et la musique qui les met en mouvement en énumérations, assonances, anaphores, allitérations maintient leur pouvoir d’étonnement, conserve intact l’élan du désir, laboure l’attention du lecteur pour que surgisse « le merveilleux possible ». Dans le poème se passe toujours quelque chose.
À voix haute je lis ces pages de tout mon corps.

Roland Giguère, L’âge de la parole, éditions Typo, 2013.