Myriam OH (Ould-Hamouda)

Myriam OH (Ould-Hamouda) qui anime des ateliers d’écriture est aussi une comédienne diseuse de ses propres textes.

Scènes d’intérieur sans vis-à-vis, éd. Lunatique, 2021.

Parce qu’écrits dans la langue du parler courant, ce recueil de textes est destiné à être dit ou lu à voix haute.
En témoin attentive des violences qu’imposent aux êtres notre système consumériste et de celles qu’ils s’imposent à eux-mêmes pour s’y adapter, Myriam OH dresse des portraits de femmes et d’hommes dont nous pourrions retrouver certains traits dans nos miroirs.
Viviane, camille, claire, alphonse, charles, jérémy et les autres prénoms sont seuls et noyés dans la masse. Prises ou pris dans la texture de leurs névroses, aucune majuscule ne distingue leurs prénoms des autres substantifs, à l’instar de viviane qui estime ne même pas la mériter.
Accidents de la vie, échecs, déceptions, envies insatisfaites les ont enfermé(e)s et souvent sapé leur estime d’eux-même comme richard qui « ne s’aime pas / mais de se déteste pas non plus » ou charles qui toute sa vie s’est plié au désir de réussite que son père avait pour lui ou encore laurence: « son truc à elle / c’est le théâtre / pourtant elle est comptable » mais « partir ou crever à feu doux il faut / choisir ».
Le témoignage de Myriam OH, s’il a parfois le détachement de l’humour, n’est jamais moqueur ou méprisant; elle aussi comme samir « a les mains dans le cambouis de l’existence ».

Myriam OH, Scènes d’intérieur sans vis-à-vis, éd. Lunatique, 2021.

Jacques Vincent

Né à Nîmes en 1950, Jacques Vincent vit à Douarnenez.

Mémographies, éditions Henry, 2024.

Jacques Vincent aime jouer. Ce recueil nous le rappelle dès son titre qui convoque la mémoire, mais nous prévient que la matière de son livre est un roman. Décidément, les frontières sont ténues, à commencer par celles qui voudraient distinguer invention et fidélité, fiction et réalité.
L’auteur le sait bien : un poème ne fait que réécrire. L’écriture première est passée, vague, lointaine. Tout ce que nous pouvons faire, c’est tamiser les mots avec nos souvenirs dans l’espoir de saisir, sans la moindre certitude, une ou deux bribes de ce que nous avons vécu.
Les mots de Mémographies (Roman) sont simples, presque banals, obstinément fidèles à ce vers de Jacques Réda dans son recueil La Tourne :
« Ce que j’ai voulu c’est garder les mots de tout le monde »
C’est à partir de ce matériau – aussi pauvre qu’illimité – que le poète, avec patience et humilité, tisse ses poèmes. La plupart sont courts et tirent justement leur grâce de leur économie, de ce qu’ils taisent. Rien de trop ici, et l’impact, le mystère n’en sont que plus vifs. Jacques Vincent parvient à rendre universels des souvenirs qui n’appartiennent qu’à lui ; seule la poésie peut à mon sens accomplir ce genre de miracle.

Étienne Paulin

Jacques Vincent, Mémographies, éditions Henry, 2024.

Yves Prié

Né en 1949, Yves Prié poète est aussi l’éditeur imprimeur de Folle-Avoine.

Les âmes errantes, éditions l’Arbre, 2022.

Le poète convoque ici deux récits, l’un biblique : la lutte de Jacob, conduit par « des lumières trompeuses qu’il avait inventées », avec l’Ange qu’il combattit une nuit entière au passage d’un gué; l’autre mythologique: Orion, chasseur géant cheminant vers Hélios qui, selon une prédiction, lui rendrait la vue qui lui avait été retirée. Ces deux récits, que se sont aussi approprié les peintres, portent en commun les thèmes de la lutte, de la blessure et du franchissement de l’aube. L’auteur nous inclut dans ce combat que « nous partageons » et qui « nous porte au-delà de nous-même ». Si je peux y entendre une métaphore du travail créatif, j’entends aussi le travail de création de soi-même que chacun, « barque sans rame », se doit à soi-même, ignorant de qui il rencontrera à l’issue de cette « Nuit indécise »: « Orion / abandonné à son destin / nous révèle à nous-même ». Pour « Nous [qui] ne sommes que poussière / dans le silence », la seule certitude est « d’avoir été là / où le destin / signe notre histoire ».
Yves Prié se tourne vers ces récits anciens pour « redonner au conflit / son poids d’avenir ». La lutte intérieure est le combat vers la question posée à l’Ange par Jacob: « Qui est l’autre », l’autre contre lequel il s’ « abandonne / à un combat / sans avenir ». Qui est cet autre que n’a pas nommé Rimbaud?
« Ni vainqueurs / ni vaincus » à ce combat qui ressemble à une danse. « À l’instant où la flèche / avoue son échec / nous inventons de nouvelles salves » chantent les âmes errantes des vaincus.

Musique: Magali Robergeau & Gérald Méreuze,
lecture & mise en son: Jacques Vincent.