Rémy Leboissetier

Né en 1958, Rémy Leboissetier vit et œuvre à Quimper.

Tout est prévu sauf le hasard, éd. Rémy Leboissetier, 2016.

Dans ce deuxième ouvrage de la Collection maximes et mixtures sont déposées en fragments de prose des pensées qui engagent le phénomène du hasard dont l’auteur voit le fruit « comme une baie étoilée, pleine de vitamine X et de poudre sympathique ».
Il interroge au passage la polysémie du mot condition et les incertitudes imposées à l’enfant qu’il fut par le conditionnel. Il s’autorise à douter de ce qu’on nomme réalité (« une immense machine à truquer »), regrette le désastre de l’obsession sécuritaire (« le hasard s’y enkyste »), rétablit le rôle de l’intuition qui seule « peut générer une perle du hasard ». Flânant d’une pensée à l’autre, l’air de ne pas y toucher, avec malice il questionne la loi de causalité et bien sûr le statut de la nécessité. Si, comme le laisse deviner le caractère tautologique du titre, un sourire flotte sur les pages (certaines pensées m’évoquent Pierre Dac), sont aussi convoqués Plotin, Aristote et Rémy de Gourmont comme d’ailleurs le surréaliste Louis Scutenaire et Marcel Duchamp lorsque l’auteur, nous avertissant qu’un ready-made n’est pas un already-made, pose des limites à l’insolite.
Rémy Leboissetier, avec le même soin artisanal prend en charge du livre l’immatérialité autant que la matérialité. Les choix qu’il fait du format, du papier, de la typographie, des illustrations (ici 4 dessins aléatoires de Jérémy Damien) confèrent à l’objet une discrète pétillance. Pour preuve je vous renvoie à son catalogue: remy-leboissetier.fr.

Rémy Leboissetier, Tout est prévu sauf le hasard, éd. Rémy Leboissetier, 2016.

Brigitte Mouchel

Née en 1959, Brigitte Mouchel, est aussi plasticienne.

déplier les silences, éd. Isabelle Sauvage, 2022.

« revenant — venant de loin, du fond des cartons, des mémoires par des chemin creux, des échappées — et ensuite, et encore ».
Ainsi débute ce recueil de textes qui mettent en scène une femme, troisième personne du singulier en quête dans sa généalogie de « quelque chose qui aide d’où on vient ».
Brigitte Mouchel poursuit ici son inlassable travail de fouille dansLa la mémoire. Photographies, lettres, faire-part, confidences sont porteurs d’indices que la poussière produite par le mouvement des générations, alliances, mariages, naissances, morts, départs n’a pas totalement recouverts. Elle les associe pour établir des reconstitutions sous formes de tableaux épars qui mettent à jour des parcelles de la vie des femmes, des hommes, des enfants de son ascendance.
L’écriture se déploie à la manière d’une rêverie faite de surgissements juxtaposés, de tessons de mémoires que séparent des tirets longs, sans soucis de continuité narrative: « les cailloux blancs sont restés au fond des poches ». La démarche se rapproche de son travail de plasticienne qui reconstruit des espace par collages de fragments.

Brigitte Mouchel, déplier les silences, éd. Isabelle Sauvage, 2022.

Lionel Lathuille

Né en 1971, Lionel Lathuille vit en région Rhône-Alpes. Il associe parfois écriture et pratiques plastiques.

Ici commence, La rumeur libre, 2025.

« On rit de toutes les tentatives accumulées pour s’extraire de soi Pour se mâcher Se cracher // Pour s’accoucher par la bouche » écrit Lionel Lathuille en presque fin d’ouvrage, passant d’une troisième personne du singulier qui allait « devenir le livre qu’il n’a pas encore écrit » à un pronom impersonnel qui prend distance sur ses tentatives. Ici d’où il écrit, il nous rend témoin du chemin de gestation qui s’opère sous nos yeux, autorisant tout surgissement, tout possible étonnement. Les cinq parties du livre sont ponctuées de fac-simile de dessins de l’auteur. L’adverbe Ici, revenant en anaphore, rythme et élance le débit des mots qu’activent parfois des injonctions: Sois ta révolte, Ne cherche pas, Monte, Commence, Défais, creuse, Conteste, Fais jouer, lance, lâche, oublie, Donne,… Commencement mis en mouvement « sous l’ordre du désir » qui « défie la mort ». Écriture en action animée par « l’incendie de vivre », quête aussi de lucidité. L’auteur, dans un entretien en fin d’ouvrage, parle d’une « plongée pour cueillir ce qui vient à moi »; sa poésie sonore « cherche son vocabulaire dans / le granit le calcaire le tuf l’aubier la glaise l’humus ». Diseur de ses propres textes, il mord les mots pour nous les faire entendre « et le paysage grandira ».

Lionel Lathuille, Ici commence, La rumeur libre, 2025.