Hélène Sanguinetti

Née à Marseille en 1951, Hélène Sanguinetti vit à Arles.

Jadis, Poïena (une poème), Flammarion, 2025.

« Debout au milieu de la rivière, ce pêcheur déroule la fable du courant, remonte sa propre histoire gonflée de profondeur, si lourde qu’il relance.
Divinités poissons et iris d’eau se partagent les pages capitales. »
Écrit l’autrice dans « Fille de Félicie », deuxième partie de ce livre et réédition d’un ancien texte. Cet art poétique pourrait s’appliquer à l’ensemble de l’ouvrage.
« Jadis, Poïena » commence comme l’Odyssée par l’invocation des Muses. Cette « histoire gonflée de profondeur » nous est délivrée comme un conte chanté par de multiples voix du dedans, dont une intrusive qui vient parfois les couper, quand une voix du dehors, celle de la narratrice s’adresse en prose à Poïena. La mise-en-page est mise-en-scène: parmi les variations typographiques flottent dans les blancs des points qui détournent la lecture sur des sentiers, des figures, comme les signes d’un jeu de piste.
Ces chants n’ont rien de ce qui définit le caractère musical d’un poème (métrique, rime, assonances, …), plutôt s’élancent-ils en lignes souvent brèves (parfois limitées à un mot) au rythme erratique rompu de rejets et accéléré par l’absence fréquente de pronoms (« —Écoutez par le vent, / juillet tremble, plomb / Serre chevilles, soleil fait éclater les yeux »). L’écriture se veut organique (« J’écris dans le noir animal / dans le bleu animal / dans le rouge animal »), faite des frémissements de l’ombre et de la lumière sur des chemins de jadis où nous conduisent les mots.
« Hue les mots! Plus loin encore. » Sont-ils poussés « avant début / d’avant jadis? » Avant même l’élan qui porta les vocables?

Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena (une poème), Flammarion, 2025.

Erwann Rougé

Né en 1954, Erwann Rougé qui fut aussi éditeur vit en Bretagne.

Paul les oiseaux, Isabelle Sauvage, 2024.

« La tête de Paul cogne les mots », Paul se confond avec l’écriture qui le révèle. Il est l’écriture même, sa manière d’occuper l’espace, de laisser des blancs, des silences entre les lignes, entre les mots, le regard comme ailleurs, « comme si cela allait de soi », bégayante parfois, se balançant d’avant en arrière. De ce texte on pourrait dire comme on le ferait d’un portrait peint ou photographié: c’est Paul.
« La main à plat touche terre / et les mots montent dedans », mots éparpillés par le vent ou le ruissellement de la pluie qui les ont déposés en ces formes dépouillées, « les mots sont des vertèbres, des chairs, des os ». Il y a deux voix dans ce recueil, celle de Paul les oiseaux qui se dit à la troisième personne du singulier, dit ses actes, ses mouvements, marchant, se cognant, déplaçant des pierres, croquant des feuilles de menthe, criant, faisant des trous dans le sable, suivant des yeux le vol des oiseaux,… l’écriture nous le révèle de l’intérieur.
Une deuxième voix, celle de l’auteur parle de Paul de l’extérieur mais souvent se confondant avec la première, produit une troisième voix. Celle d’Erwann les oiseaux?
En découvrant la salive qui coule sur la joue Paul, je pense à « L’idiot » du poème de René Guy Cadou: « Si limpide est son œil son sourire si grave / Qu’on l’aime d’un seul coup et qu’on oublie qu’il bave ».
Par ce portrait, Erwann Rougé, dans le dépouillement de son écriture donne à entrevoir la farouche beauté de « cet animal poésie ».

Erwann Rougé, Paul les oiseaux, Isabelle Sauvage, 2024.