Géraldine Geay

Géraldine Geay, née en 1988 a étudié le cinéma et les lettres.

Loin et souvent, anthologie Triages, Tarabuste, 2022.

Deux parties à ces « poèmes virtuels »: Loin et souvent suivi de Loin et fréquent. Chaque texte est précédé d’une date entre fin septembre 2020 et mars 2021. Dans la première partie, la date est suivie d’une lettre de l’alphabet (en vue d’une indexation?) puis d’une phrase en italique souvent relative au quotidien. Dans la deuxième partie seules les dates sont maintenues, parfois suivies d’un titre. Viennent ensuite des textes en romain composés en drapeaux, chaque ligne commençant par une capitale: toutes apparences du poème, réduit parfois à une ligne: « Le temps plein de la fille heureuse », on cherche la contrepèterie, sur deux lignes (« Si l’écriture a raison / Le désir est long ») il prend des allures d’aphorisme mais la plupart s’étalent sur plusieurs lignes desquelles émergent quelques fragments biographiques suffisamment décontextualisés pour que rien ne nourrisse une narration ou un portrait de diariste.
Dans un premier temps, cette écriture dont le sens se dérobe en permanence me déroute mais la vivacité qui en émane m’inspire confiance et m’encourage à continuer d’essayer d’y placer ma voix et c’est dans Piétinements II en pages 33 et 34 que s’ouvre pour moi une porte: « Les yeux qui savent déjà et se distraient / L’inconscient avale la rencontre / Le plus lentement du monde ».
Les mots échoués sur la page qui mettent du temps à prendre voix, à prendre sens sont, avant d’être assignés à décrire, relater ou énoncer, des aventuriers déjà événements en eux-mêmes. J’acceptai cela et dans les relectures me laissai porter « Le plus lentement du monde » par les ruisselets de sens, virtualités qui circulent à la surface de cette texture sous laquelle, de son propre aveu, s’enfouit Géraldine Geay (« J’ignore avec quoi j’écris / Tant je m’enfouis »).

Musique Magali: Robergeau & Gérald Méreuze,
lecture & mise en son: Jacques Vincent.

Grégory Rateau

Né en 1984 en banlieue parisienne, Grégory Rateau vit aujourd’hui à Bucarest où il anime un média d’informations en ligne*.

Imprécations nocturnes, éditions Conspiration, 2022.

« il n’y a qu’en fermant les yeux / dans ce vaste trou noir / que je peux enfin l’entendre / cette petite voix trop longtemps étouffée ».
J’ai choisi cette porte pour pénétrer la densité de ce texte, quête de celui qui « descend dans le monde d’en-dessous » pour aller y voir et revenir vers la lumière. Grégory Rateau se raconte sans complaisance, fait parler les voix qui l’habitent et celles qui l’ont guidé. Une deuxième et une troisième personne se substituent souvent au singulier de la première pour prendre distance, dire le mal-être, éveiller une « lucidité vengeresse » qui « lui désigne la blessure du soleil ». L’élan d’écrire conduit par la colère est mu par la nécessité, nécessité de quitter, d’avancer malgré tout, de faire avancer ce long poème, de se tenir à l’écart de toute amertume. Dans ce récit de voyage introspectif à travers la blessure, « pas un mot qui ne soit éprouvé », l’auteur, « ce bohémien avide de sensations » aspire à « regagner ce territoire solaire / entre [son] carnet vide et ce cendrier plein de poèmes » qui sont peut-être son seul chez lui.

Musique: Magali Robergeau & Gérald Méreuze,
lecture & mise en son: Jacques Vincent.

*lepetitjournal.com

Anne-Sophie Subilia

De nationalité suisse, Née en 1982, Anne-Sophie Subilia vit au bord du Lac Léman.

Les hôtes, Paulette éditrice, 2022.

Ce livre nous offre une poésie qui, à l’instar des romans de l’auteur mais libérée de leur temporalité, nous fait découvrir par fragments une vie indissociable du paysage qui l’abrite temporairement.
Ce sont des corps qu’elle nous donne à voir dans ces pages, des corps libres d’être qui ils sont, accueillis avec douceur par ce lac qu’elle écrit aimer avec passion, ce « grand hôte plein de beau flegme », ce Léman si aimant. On y croise parmi d’autres les pieds d’une vieille dame, les corps d’un vieux monsieur, d’une famille de russes et de portugais, celui aussi d’une « maigre fille » (« autour du corps en os / nous chanterions tout bas / nous ferions cette danse apprise autrefois »), un garçonnet qui pisse dans l’eau et des cygnes.
Les êtres sont saisis dans leurs gestes familiers et, comme le fait le lac, s’invitent dans l’écriture « sans distinction / afin qu’ils se surmontent ».
« Est-ce possible / qu’aller au lac signifie bien plus qu’il n’y paraît ».

Musique: Magali Robergeau & Gérald Méreuze,
lecture & mise en son: Jacques Vincent.