Il faut repeindre le moteur, Éditions Gros Textes, 2016
Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur. Lecteur associé : Gérard Camoin.
Yves Artufel qui vit dans les Hautes-Alpes où il est né est aussi éditeur (Gros textes) et bouquiniste. « Il faut repeindre le moteur » a déjà été publié dans la revue Décharge. « Comme chaque jour, il ne reste plus / qu’à nous écouter dériver », dans ce recueil de pensées flottantes qui arborent le « nez rouge du poème », chacun d’eux est un petit miroir où vient se refléter un personnage, fataliste et burlesque, « au bord de la falaise », auquel l’auteur s’adresse quelques fois : « il te reste quelque part la souvenance de sources à laquelle tu es noué ». « Je connais un type qui cherchait aux fontaines des godasses qui consolent ». De l’ordinaire prosaïque jaillissent des étincelles d’émerveillement dont s’empare un lyrisme joueur qui prolonge la vie, l’amplifie. La langue s’écoule en charriant saveurs, senteurs et couleurs en « une boue de miracle » et entraîne dans son cours tant d’herbes de vie qui poussent dans le « jardin des mots ».
« Ma Patagonie », Éditions « La sirène étoilée » 2017
Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur. La voix d’Élisabeth Pasquier s’est jointe à cette lecture.
Née à Pontivy en 1943, Guénane Cade qui a longtemps vécu en Amérique du Sud habite aujourd’hui Larmor-Plage. Elle est auteur de poésie et de romans. « La Patagonie est une idée / une idée trop grande pour moi / elle me recouvre m’entraîne / me malaxe me transforme ». Une initiation donc pour Guénane à parcourir ce « désert sans majesté dunaire » pour aller puiser à la source archaïque des vents, éveiller ses yeux, ses oreilles, sa langue à une conscience du monde plus ample, plus vivante, plus libre. Une renaissance en somme. « Il faut en soi dégager des estrans / pour laisser s’insinuer la libre démesure » et la dire dans le souffle du poème. Plaine herbeuses, cordillère, glaciers, étrangetés de la géographie, grâces des faunes terrestre et marine, « la sensation ébrieuse / de la solitude millénaire » attisent un lyrisme sans emphase qui se déploie dans la simplicité de l’écriture. « En moi se découvre / une épaisseur géologique prête à exploser », émerveillée mais sans candeur, la poète entend les ombres qui mugissent dans le vent : indiens Patagons, Tehuelche, Yámana, Ona dont tous les feux furent éteints par tant de brutalités. « Si tu prononces / humains / pourquoi cette impression / que s’annonce un déclin? ».
Extait de la lecture de décembre 18. Lectrice invitées Stéphane Carn, Bénédicte Maillard et Elen Le Trocquer : Les Louiseuses.
Louise Labé,« Œuvres complètes », éditions GF Flammarion, 2004.
Louise Labé, née en 1524 à Lyon est morte en 1566 à Parcieux-en-Dombes. Elle aurait été l’épouse d’un riche marchand de cordes lyonnais et femme de culture, guidée par l’ardente envie de savoirs qui animait la Renaissance. Tournée vers l’Italie, dont elle connaissait la langue ainsi que le latin, elle aurait appartenu au groupe dit de l’école lyonnaise. Certaines thèses soutiennent qu’elle aurait été un être de fiction, une imposture montée par un groupe de poètes conduit par Maurice Scève. Que la Belle Cordière soit de chair ou de papier, l’œuvre, de prose et de vers, n’en demeure pas moins savamment organisée. En introduction, une lettre à l’une de ses amies, comme elle vertueuse Dame Lyonnoise (au XVIème siècle était vertueux qui avait du caractère), insiste sur l’importance de l’étude des lettres et des sciences ( … l‘estude laisse un contentement de soi, qui nous demeure plus longuement ) et sur la nécessité pour les femmes de s’y adonner ( … les hommes mettront plus de peine et d’estude aux sciences vertueuses, de peur qu’ils n’aient honte de voir précéder celles, desquelles ils ont prétendu estre toujours supérieurs quasi en tout ). Vient ensuite le Débat de Folie et d’Amour, dialogue entre deux divinités à la suite duquel Amour sera rendu aveugle et qui sera relayé dans les quatre discours suivants par Vénus et Jupiter, Apollon et Mercure. Ces deux allégories sont représentantes l’une, selon la théorie néo-platonicienne, du moteur de l’Univers, garant de son harmonie, l’autre de l’irrépressible désir de connaître. À la fin du dernier discours le débat restera ouvert. Les parties lyriques sont constituées de trois élégies en décasyllabes et rimes plates et vingt quatre sonnets en décasyllabes, à rimes embrassées dont le premier, rédigé en italien annonce la parenté avec l’écriture de Pétrarque. Dans cette partie, ayant intériorisé les deux protagonistes du Débat, en guise de démonstration, elle se met elle-même en scène suivant une dramaturgie qui, des plaintes de l’amante délaissée après avoir accueilli le désir de l’ami, monologue en déclinant ses tourments et finit par une adresse au lecteur et une mise en garde. L’écriture intense et maîtrisée ( car même lorsqu’elle veut dire la confusion, ce qui dit manifeste pleinement ce qui est dit : O beaux yeux bruns, ô regard destournez / […] / O ris, ô fronts, cheveux, bras mains et dois ) et la cohérence d’ensemble de l’œuvre, pour modeste qu’elle soit n’autorise pas à voir en Louise Labé une Bovary de la Renaissance comme une lecture distraite de quelques sonnets pourrait le faire percevoir.