François de Cornière

Né en 1950, François de Cornière vit au bord de l’Atlantique.

Ces traces de nous, Le Castor Astral, 2025.

François de Cornière écrit du poème qu’il est « atelier de l’instant ». La poésie qu’il nous donne à lire dans ces textes écrits entre 2022 et 2023, ancrée dans son quotidien, se saisit de tout ce qui peut advenir: une rencontre, une situation, une conversation ordinaire, une phrase entendue par hasard, une chanson, une musique, un film, un mot dans un livre (« C’est un verbe / il m’est tombé dessus au milieu d’une page »)… Ces riens qui lui tombent dessus retiennent son attention comme « étincelles d’émotion » qui peuvent revenir « sans qu’on les attendent ». Il les capture dans un carnet. Elles initient le poème, sont le point de départ d’une rêverie qui nous conduit de la vie du dehors à la vie du dedans comme il est écrit dans « La joue sur la mer », poème qui peut être considéré comme art poétique — la nage devenant métaphore de l’écriture: « c’est une petite victoire intime / de poser sa joue sur la mer / […] / cela va vite mais j’aperçois / le ciel du dehors et la mer du dedans / En même temps ».
Avec la nage, la musique, revient souvent et je l’entends dans ces vers libres entre lesquels les silences du blanc sont si importants « pour parler sans parole / à l’oreille de l’autre ».

François de Cornière, Ces traces de nous, Le Castor Astral, 2025.

Nancy Huston

Née au Canada en 1953, Nancy Huston, romancière et essayiste vit à Paris.

Chose dites, L’ICONOPOP, 2023.

« (Mensonges, ces vers aussi, / mais n’est-ce pas le cas de tout / analgésique?) »
Ce recueil bilingue, en une succession de cinquante plans rapprochés, égraine le récit d’une ancienne relation amoureuse débutée dans l’aveuglement d’un coup de foudre, relation unique qui plaçait les amants au-dessus « des autres lemmings », relation toxique pour l’une comme pour l’autre.
Réécriture du discours amoureux, cette mise en mots est une mise en scène qui use des moyens de la métaphore, de l’ironie, de l’auto-dérison pour tenir les faits à distance.
« Tu as dit que tu pouvais remplacer mon cœur / […] / j’ai accepté avec joie ».
Tourbillon morbide d’une incandescence qui se mesure « aux rangées de bouteilles vides dans la cuisine », à l’élan amoureux se mêlent hostilité, humiliations, peurs, … dépendance (« je bouffe du sel et crache de la bile / en visant le record mondial / du surplace »). Si ces vers sont adressés à l’ex-partenaire, ce n’est pas pour le condamner mais pour lui faire savoir la réciprocité des torts (« j’ai fait un geste qu’aurait pu / faire un parfait inconnu / un parfait ennemi »).
« Syncope » le poème dont est extraite cette dernière citation se termine par la conjonction de coordination « et », phrase inachevée ouvrant un indicible toujours à l’œuvre.

Nancy Huston, Chose dites, L’ICONOPOP, 2023.

Jean Le Boël

Né en 1948, Jean Le Boël est aussi romancier, essayiste et éditeur.

L’enfant sur la berge, la rumeur libre, 2025.

« Le poète écoute / il entend les affres et la douleur / la joie parfois et puis la peine / le chant du matin ou le ciel qui s’assombrit // et il parle / sa voix porte / celle des autres ».
Ainsi se décrit ce discret moraliste qu’est Jean Le Boël, en empathie avec ce qui vit, souffre et meurt. Il écoute, il entend et par la voix du poème chante le désir, l’amour, l’enfance, le temps et « l’indocile mémoire », l’impermanence. Il nous donne à lire quelques portraits de vivants ou de disparus et même celui d’une maison abandonnée, un rouge-gorge aussi et « un moineau (qui) s’ébroue dans la poussière »…
« Ne cède pas aux mirage des idoles / leurs images ne sont pas la vie »: les recommandations de sagesse qu’il donne le sont avec modestie car aussi bien adressées à lui-même qui n’a pas oublié l’« adolescent perdu dans le désir informe ».
Si « il n’est d’autre retour que l’amour / que le poème que le cœur / saluant les immuables matin », ce retour fait écho au nourrisson esseulé, « balbutiant prisonnier / de l’attente du retour des parents », dans l’effroi d’une perte que rien n’effacera.
Le dernier poème invite cependant à « accepter l’oubli ».

Jean Le Boël, L’enfant sur la berge, la rumeur libre, 2025.